Premier vote

Cédric O
4 min readMay 23, 2019
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J’ai voté pour la première fois le 21 avril 2002. Ce jour-là, j’ai voté Jean-Pierre-Chevènement.

Bien sûr, j’ai regretté ce vote. Amèrement. Il y avait, chez le jeune homme de 20 ans que j’étais alors, de l’insouciance et peu de culture politique. La perspective de voir l’extrême droite au deuxième tour de l’élection présidentielle m’apparaissait alors comme absolument chimérique. Pour une partie de ma génération, le 21 avril 2002 est resté comme une date traumatisante et fondatrice. Elle a sous-tendu une part importante de mes engagements politiques futurs, mais elle a surtout complètement changé ma lecture des échéances électorales.

Au-delà de l’insouciance, ce vote procédait aussi d’autre chose. Voter Jean-Pierre Chevènement me semblait alors comme la meilleure manière de réconcilier mes inclinaisons de gauche avec une sensibilité particulière aux sujets de souveraineté. Issu d’une famille de militaires, je pensais que c’était la défense du cadre français qui garantirait le mieux la préservation des intérêts nationaux. Là aussi, je me suis trompé.

Dix-sept ans plus tard, ces questions de souveraineté sont toujours aussi importantes pour moi. Elles inspirent profondément mes choix personnels (avoir travaillé pour Safran, par exemple) et les décisions que je prends. Mais mon analyse a radicalement changé.

La compétition économique et technologique internationale n’a jamais été aussi intense. Elle oppose aujourd’hui, principalement les Etats-Unis et la Chine. En mars 2018, le Président de la République a ainsi annoncé que le gouvernement français investirait 1,5 milliards d’euros dans l’intelligence artificielle sur le quinquennat. Au plan national, il s’agissait d’un effort inédit, à la hauteur des enjeux économiques portés par cette technologie de rupture. La même année, le gouvernement chinois s’est engagé dans un plan de 13 milliards d’euros sur trois ans, auquel viendrait s’ajouter une somme équivalente investie par le seul Alibaba. Les sommes investies annuellement par les géants américains du numérique dans la recherche en IA sont estimées entre 30 et 40 milliards d’euros.

L’enjeu est simple. Sur tous les sujets majeurs, les montants investis par ces deux grandes puissances sur les technologies du futur (intelligence artificielle, spatial, recherche quantique, biotechnologies, etc.) sont tels qu’ils ne laissent pas l’ombre d’un doute : il n’y aura de souveraineté française de long terme qu’à travers la souveraineté européenne.

Ce qui est vrai pour les grandes masses l’est au quotidien pour les entreprises françaises. Les entrepreneuses et les entrepreneurs tricolores ne le savent que trop : s’ils veulent pouvoir combattre à armes égales avec leurs concurrents américains et chinois, ils ont impérativement besoin d’une intégration encore plus grande du marché européen. J’ai déjà eu l’occasion de dire que, dans une économie numérique mondialisée, la défense de nos emplois, de notre souveraineté et de nos valeurs européennes dépendrait de notre capacité à faire émerger des géants technologiques internationaux. En la matière, la taille du marché est un horizon la plupart du temps indépassable. Face aux 1,4 milliards de Chinois et aux 330 millions d’Américains, la seule échelle crédible est celle de l’Europe avec ses 450 millions de consommateurs.

Cette appréciation macro-économique ne dit rien, par ailleurs, du rôle protecteur joué par l’Union européenne (UE) ces derniers mois dans le domaine du numérique. Seule l’UE a ainsi aujourd’hui le poids nécessaire pour imposer aux géants américains et chinois le respect de nos valeurs. Lorsque le nombre de vos utilisateurs se compte en milliards, le poids relatifs des 67 millions de Français pèse peu. A l’inverse, lorsque les Européens s’unissent, ils imposent des normes mondiales : c’est le cas du règlement général de protection des données (RGPD), qui garantit à chaque Français que ses données personnelles sont protégées, même chez Google ou Facebook.

Dans ces conditions, les projections de résultat du Rassemblement National appellent un constat très clair : voter pour le RN, c’est voter contre la souveraineté française et, in fine, pour la domination américaine et chinoise. C’est, à long terme, voter pour le chômage. L’internationale populiste qui se dessine depuis plusieurs mois ne doit pas laisser de place au doute : c’est à un détricotage en règle de l’Union européenne qu’elle œuvre. Ne pas voter, c’est acquiescer silencieusement. Roland Barthes disait : « Ponce Pilate n’est pas un monsieur qui ne dit ni oui ni non, c’est un monsieur qui dit oui. »

A l’inverse, les propositions de Nathalie Loiseau et la liste Renaissance, portent au cœur de leurs priorités cette ambition européenne pour l’innovation et le développement du marché unique du numérique. Elles font de la régulation des grands acteurs du web un sujet central, qu’il s’agisse de concurrence, de protection des données ou de régulation des contenus haineux.

©Renaissance

L’Europe, nous ne le savons que trop, est largement perfectible et souvent pénible de lenteur et de complexité. C’est pourquoi, pour avancer, les grandes déclarations ne suffiront pas. Dès le 27 mai, nous aurons besoin de députés qui connaissent leurs sujets et sont respectés par leurs pairs pour arracher des compromis ambitieux. C’est dans cet esprit qu’a été composée la liste Renaissance. C’est dans cet esprit que, de l’Allemagne au Portugal, se dessine une alliance progressiste qui prône une Europe ambitieuse et innovante, sûre de ses valeurs et de sa force.

Le 26 mai prochain, il n’y aura qu’un seul tour et un seul vote pour la Renaissance européenne : celui de la liste menée par Nathalie Loiseau.

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Cédric O

Ancien Secrétaire d’État chargé du numérique / Former French Minister of State for Digital