La transition numérique au cœur de la relance et de notre pacte social

Cédric O
8 min readSep 3, 2020
© MINEFI

Début août, le cours de bourse d’Apple a franchi la valeur de 1 600 milliards d’euros, devenant par la même occasion la première capitalisation boursière mondiale. Surtout, la valeur de cotation de la firme à la pomme est par la même occasion devenue… supérieure à la valeur de l’ensemble du CAC40. Quelques semaines plus tard, Voodoo devenait la 9e licorne française (start-up valorisée plus d’un milliard d’euros), la cinquième en deux ans, signe que l’accélération de la transformation de l’économie n’est pas qu’un phénomène américain. Dans le même temps, dans notre pays, une personne sur six n’utilise pas Internet, une sur trois estime ne pas posséder les compétences de base nécessaires à sa correcte maîtrise.

C’est à la croisée de ces deux statistiques que se joue une part de l’avenir économique et social de la France :

  • Celle d’un monde où les révolutions technologiques ont bouleversé les équilibres économiques et géopolitiques mondiaux ; bien sûr, la capitalisation boursière ne fait pas tout, loin s’en faut, mais elle dit beaucoup du risque de marginalisation de l’Europe et de la France si celles-ci ne sont pas capables de se mettre au niveau de la compétition technologique menée tambour battant par les États-Unis et la Chine ; nous n’avons pas d’autre choix que de réussir la transition numérique de nos entreprises et de faire émerger de nouveaux champions, capables de se mesurer aux géants étrangers ;
  • Celle de sociétés occidentales où la fracture numérique vient parfois aggraver toutes les autres fractures (territoriales, sociales, etc.) et nourrit le ressentiment ; souvent, le numérique est facteur de simplicité, de découverte et d’emploi ; mais il est aussi trop souvent, faute d’accompagnement, le vecteur et le syndrome du déclassement d’une partie de la société.

La crise sanitaire a été l’illustration paroxystique de ces défis et de ces paradoxes. Les outils numériques ont alors constitué une donnée déterminante dans notre résilience collective et dans la vie quotidienne de chacun de nos concitoyens. Télétravail, commerce en ligne, appels vidéo, réseaux sociaux, accès aux contenus culturels et aux divertissements en général, consultations médicales… Le numérique a rendu plus supportable cette situation inédite pour tous ceux qui pouvaient y recourir. Mais cette période a également mis en lumière le fossé qui préexistait entre « connectés » et éloignés du numérique. Nos concitoyens les plus éloignés du numérique n’ont jamais été aussi exclus et démunis : isolement social pour certains de nos aînés, difficultés économiques pour nombre de TPE-PME peu numérisées, décrochage scolaire pour de nombreux enfants… La fracture numérique a souvent amplifié des difficultés et des inégalités existantes, fragilisant l’accès aux services essentiels et notre capacité à faire société.

Dans le même temps, notre dépendance vis-à-vis de technologies ou d’acteurs étrangers n’est jamais apparue de manière aussi criante, alors même que nous avions besoin de pouvoir les mobiliser de manière inédite. Qu’il s’agisse de disposer d’outils de visio-conférence sûrs et performants ou de pouvoir offrir à nos concitoyens des applications innovantes pour faire face à la situation sanitaire, la question de notre souveraineté numérique s’est reposée avec une acuité toute particulière.

Face à ce constat, la nécessité d’une transition numérique ambitieuse, inclusive et soutenable apparaît plus pressante que jamais. Cet objectif figure d’ailleurs parmi les deux priorités du plan de relance européen, au côté de la transition écologique. La transition numérique est également une dimension essentielle du plan de relance présenté aujourd’hui par le Premier ministre et Bruno Le Maire — et dont l’essence est de préparer l’avenir.

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Le gouvernement a décidé de mobiliser une enveloppe inédite de près de 7 milliards d’euros en faveur de la transition numérique dans le cadre du plan de relance sur la période 2021–2022.

1. Le plan de relance a vocation à accélérer la croissance de l’écosystème de la French Tech et à renforcer notre souveraineté numérique, tant par le soutien au développement de nos start-up que par une plus grande maîtrise des technologies numériques stratégiques, pour un montant total de 3,7 Mds€.

Le PIA 4 consacrera une augmentation de 60% des aides à l’innovation destinées annuellement à la French Tech pour un total de 800 M€ (400 M€ par an). Au moins 500 M€ dans le plan de relance (2,5 Mds€ sur 5 ans) seront par ailleurs consacrés en plus au soutien des levées de fonds, et notamment les levées les plus importantes. Le développement exceptionnel de l’écosystème French Tech depuis trois ans (montant des levées de fonds multipliées par deux entre 2017 et 2019, explosion des tours supérieurs à 50M€) est un motif d’espoir très important pour l’économie française. Le numérique a d’ores et déjà été, en 2019, le premier secteur créateur net d’emploi en France. C’est avec l’objectif de consolider le rôle leader de la France en Europe que le plan de relance accentuera l’effort gouvernemental de soutien aux start-up, autour de deux objectifs principaux : favoriser l’émergence et la réussite de la nouvelle génération post-crise de start-ups, et accélérer l’émergence de leaders mondiaux.

2,4 Mds€ seront consacrés aux technologies numériques de rupture sur lesquelles la France estime indispensable d’être un acteur de la compétition mondiale : quantique, cybersécurité, intelligence artificielle, cloud, etc. Le plan de relance permettra ainsi de renforcer notre politique industrielle sur des technologies critiques pour lesquels des défaillances ou des ruptures d’approvisionnement de la part d’acteurs non européens auraient dans le futur des effets systémiques sur l’ensemble de notre économie, particulièrement nos filières industrielles d’excellence (automobile, ferroviaire, aéronautique, santé, etc.), et de notre société. En phase avec les politiques menées au niveau européen, ces stratégies de développement technologique visent, d’une part, à assurer un positionnement dominant de l’Europe sur quelques segments-clés pour maintenir une interdépendance du marché international et, d’autre part, de renforcer les chaines domestiques d’approvisionnement de nos filières applicatives.

2. L’accès au numérique pour tous constituera une absolue priorité, à la mesure du caractère essentiel qu’il revêt désormais. Près de 800 millions d’euros seront ainsi mis au service de cet objectif.

Depuis deux ans, l’État, les collectivités et le privé ont investi massivement pour les infrastructures numériques sur le territoire et en particulier dans les zones rurales, faisant de la France l’État dont le rythme de déploiement est le plus important en Europe — voire dans le monde (en 2019, ce sont 19 000 nouvelles lignes de fibre qui ont été mises en service chaque jour ouvré). En consacrant 240M€ supplémentaires dans le plan de relance, le Gouvernement rend possible la généralisation de la couverture fibrée du territoire à horizon 2025.En tenant compte des 280 millions d’euros déjà annoncés en début d’année et des 30 M€ prévus par la loi de finances rectificative, ce sont 550 millions d’euros seront ainsi consacrés au déploiement du très haut débit. Ils permettront notamment de compléter le financement des raccordements les plus coûteux et des projets des territoires ruraux*. A l’image de ce que l’État a historiquement réalisé pour l’eau ou l’électricité, la fibre doit être aujourd’hui être considérée comme une infrastructure essentielle donnant lieu à un service universel sur le territoire : chaque Français qui en a besoin doit pouvoir avoir accès à la fibre, où qu’il habite.

Mais l’accès au numérique ne se résume pas à un accès technique. Au-delà des infrastructures, le plan de relance comprend un effort inédit et historique de 250M€ en faveur de la lutte contre la fracture numérique et l’illectronisme. Aujourd’hui, ce sont encore près de 13 millions de Français qui sont ainsi « éloignés du numérique ». Pour donner un coup d’accélérateur à la mesure de ce défi, la lutte contre l’illectronisme fera l’objet d’un effort d’investissement sans précédent de 250 millions d’euros dans les prochains mois. Ce plan de lutte contre la fracture numérique comprendra trois actions phares :

- Des médiateurs numériques formés, proposant des ateliers d’initiation au numérique au plus proche des Français ;

- Des lieux de proximité, en plus grand nombre, ouverts à tous. Ces lieux proposeront de nombreuses activités en lien avec le numérique et accueilleront des médiateurs formés. Ils pourront aussi proposer aux acteurs économiques locaux de mutualiser des machines et des outils pour maintenir et développer leurs activités ;

- Des outils simples et sécurisés pour permettre aux aidants (travailleurs sociaux, agents de collectivité territoriale, etc.) de mieux accompagner les Français qui ne peuvent pas faire leurs démarches administratives seuls.

Le détail des modalités d’applications fera l’objet de discussions avec les acteurs territoriaux (collectivités, associations, etc.) afin d’en préciser les paramètres pour la plus grande efficacité dans les 2 ans à venir.

L’accès de tous aux emplois du numérique constitue enfin une préoccupation-phare dans le cadre de l’effort de démocratisation du numérique porté par le plan de relance. La formation aux métiers du numérique bénéficiera d’un soutien à hauteur de 300 millions d’euros, pour tirer parti de l’opportunité que représentent ces métiers pour l’insertion de tous les jeunes mais également de ceux dont les métiers seront affectés par la crise et les mutations économiques. Ils font ainsi partie des métiers prioritaires d’avenir auxquels 100 000 jeunes seront formés, en lien avec les régions, dans le cadre du plan jeunes, ainsi que ceux de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) nationale pour la formation professionnelle.

3. Le plan de relance donnera enfin un nouvel élan à la transformation numérique de l’État, des territoires et des entreprises, pour une résilience collective et une compétitivité renforcées (2,3 milliards d’euros).

1,7 milliard d’euros seront ainsi alloués à la transformation numérique de l’État et des territoires. Ces crédits permettront notamment de financer le déploiement d’une identité numérique de niveau élevé, la modernisation et la sécurisation des infrastructures numériques de l’État, et l’utilisation de technologies numériques de pointe par les administrations. L’amélioration de la qualité du service public sera au cœur des préoccupations et, dans ce cadre, une enveloppe exceptionnelle de soutien à la transformation numérique de l’État et des territoires de près de 300 millions d’euros sera allouée aux projets les plus prometteurs en la matière. Sur le champ spécifique de la santé, une mise à niveau de nos infrastructures numériques de santé est prévue dans le cadre du Ségur (200 millions d’euros).

Une enveloppe de près de 400 millions d’euros doit en outre permettre d’accélérer la transformation numérique de nos TPE, PME et ETI, qu’il s’agisse d’accompagner les entreprises les plus éloignées vers les opportunités du numérique ou d’accélérer l’adoption de technologies liées à l’industrie du futur et à l’intelligence artificielle.

Enfin, près de 200M€ seront consacrés pour accélérer la numérisation des filières aéronautique et automobile dans les plans de soutien qui leur sont dédiés.

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La transition numérique de notre économie et de notre société n’est pas une option. Elle est une obligation si la France veut sauvegarder ses emplois, tenir son rang et continuer à faire société. Accompagnée, accélérée, anticipée, elle peut être un facteur de croissance et de création d’emplois extraordinaire pour notre pays. C’est l’ambition de ce plan de relance, qui lui consacre des moyens inédits.

* Afin de prendre en compte cette nouvelle donne, les collectivités territoriales qui avaient jusqu’au 15 septembre dans le cadre du cahier des charges publié en février 2020 pour déposer leurs demandes de financement, pourront le faire jusqu’au 1er décembre.

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Cédric O

Ancien Secrétaire d’État chargé du numérique / Former French Minister of State for Digital